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> La muette d'Olivier Roller _ _ une fiction de Xavier Person

Je n'ai pas connu mon père, je regarde ma mère, je la photographie, nous ne nous parlons pas, presque pas. Je sais que ma mère a détruit les photographies qu'elle avait gardées de mon père et je photographie ma mère, je regarde ma mère au visage et la haine et l'amour font l'obscurité de son visage, sa dureté. Je ne me suis pas battu contre mon père, je n'ai eu que ma mère à aimer, je n'ai pas pu ressembler à mon père, je n'ai pas grandi dans son regard et je regarde ma mère, je m'interroge quant à son silence, je le photographie et je déteste cette femme autant que je l'aime, je crois que j'aimerais la photographier comme on se bat, comme on porte son poing au visage de son père et ma mère, elle, a connu mon père, ma mère, je l'imagine, s'est battu contre mon père et dans son silence elle garde le secret du visage de mon père dans l'amour, ma mère a fait l'amour à mon père et je regarde ma mère à l'instant de la photographier, je regarde ma mère et je ne vois pas tout, je la photographie, je n'ai jamais vu mon père et je photographie ma mère, je regarde ma mère sans bien voir, je possède le silence de ma mère dans une photographie. Je ne reconnais pas ma mère et je la photographie et si je voyais mon père je ne le verrais pas, je m'approche de ce visage que je ne reconnais pas pour celui de ma mère, je vois bien que cette femme n'était pas ma mère au moment où mon père la regardait, je vois bien que cette femme n'a pas toujours été ma mère, je vois bien qu'elle est ma mère sans que je sache rien d'elle alors je la photographie pour m'approcher, je cherche à voir les yeux de mon père dans ceux de ma mère, je ne vois rien à un moment qu'un visage, je le photographie, j'aimerais le photographier comme nous naissons de nos mères sans rien voir au départ que la lumière, cette obscurité que je photographie. Je n'ai pas envie d'aimer cette photographie, je la regarde avec méfiance car le silence d'une mère

est un puits sombre, un appel souterrain qui fait qu'on pourra passer toute une vie à photographier des visages, on n'y verra pas forcément plus clair, on continuera d'être happé par ce silence. Je n'aime pas photographier ma mère au visage, elle n'est pas mon père et entre nous c'est la guerre, c'est l'amour muet, cette torsion sombre du silence. Je n'aime pas ma mère sur cette photographie, je n'avais jamais vu si clairement que la photographier était une question de vie ou de mort et je la photographie de très près, je regarde la mort de près dans cette photographie de ma mère et je ne peux pas dire que je l'aime, je ne m'en détourne pas facilement et ma mère et moi nous nous taisons, nous ne parlons pas de l'absence de mon père et je la photographie, je photographie la disparition de mon père dans la violence du visage de ma mère, dans cette tristesse arrêtée, cette suspension en quoi consiste le visage de ma mère, cet amour inabouti. Je regarde peut-être cette photographie de ma mère pour l'aimer, il n'est pas certain que j'y parvienne jamais, sinon dans sa mort alors je la photographie, nous nous taisons, nous ne parlerons jamais, ma mère et moi, de ce que l'un et l'autre nous voyons dans cette photographie et peut-être que ma mère et moi nous nous regardons sans rien voir, nous nous regardons et si je photographie ma mère je cherche à me voir, je cherche à voir en quoi je lui ressemble, n'ayant jamais connu mon père, l'ayant vu sans le voir, avant qu'il ne disparaisse de ma vue, je regarde dans cette photographie en quoi je ressemble à mon père pour l'aimer et l'amour de ma mère est sans issue, photographier est se placer face à un visage toujours, face au mur d'un visage, je dirais que photographier est une question que l'on pose à l'amour et je photographie ma mère.

 

 

 

 

 

 

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